04/10/2024
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Après avoir abordé, dans nos récents hebdos crédit, les sujets de la duration, du risque monétaire et politique, notamment en France, ou de quelques cas particuliers d’émetteur crédit, la période à venir nous semble devoir nécessiter d’opérer des choix sectoriels plus stricts dans son allocation obligataire, ce que nous proposons d’aborder aujourd’hui.

Pour reprendre l’expression bien connue et quelque peu triviale du grand Warren, c’est quand la mer se retire que l’on voit ceux qui se baignent nus, ce qui nous amène à aborder aujourd’hui le sujet des entreprises plutôt que des investisseurs, pour une fois…

Si des émetteurs comme Altice ont cédé dès la première marée de la hausse des taux et du regain de sélectivité des investisseurs, une deuxième marée arrive depuis quelques mois et il s’agit d’un certain reflux de la croissance…

Ainsi, après la phase plutôt favorable de 2022 et 2023, durant laquelle les grandes entreprises, principaux émetteurs sur le marché obligataire corporate, avaient pu transférer l’inflation dans leurs prix de vente et donc dans leur marge alors même que les aides d’Etats multiples et conséquentes avaient permis de maintenir des chiffres d’affaires élevés, les deux phénomènes se replient en même temps et on observe fréquemment dans les publications récentes de résultat des entreprises des baisses de vente et de marge, surprenant même parfois significativement le marché.

Parmi les secteurs les plus touchés, nous noterons particulièrement celui de l’automobile, pris dans un effet ciseau dévastateur entre les besoins d’investissements réguliers, l’évolution réglementaire (et peut être le monde financier pourrait expliquer à nos amis constructeurs automobiles ce qu’est un secteur en restriction réglementaire lourde et permanente pendant une décennie…) et un cycle économique défavorable. C’est ainsi que Stellantis ou Volkswagen, après des années plutôt fastes, ont affiché des perspectives de résultats médiocres, l’un passant de prévisions de cash-flows de près de 8 milliards d’euros sur l’année 2024 à des prévisions de cash-burn de 5 à 10 milliards d’euros, et l’autre affichant un free cash-flow par véhicule vendu d’environ 200 euros… autant dire zéro.
 
Afin de donner un état des lieux sectoriel, nous vous proposons deux graphiques : le premier montre l’évolution des bonnes et mauvaises surprises depuis 2022 et le second propose une répartition sectorielle des dernières publications.


(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Deux points majeurs sont à noter :

  1. Une quasi-disparition des bonnes surprises depuis la fin 2023
  2. Une dichotomie assez forte entre secteurs avec trois catégories :
    1. Les financières qui commencent à profiter de la hausse des taux pour leurs revenus et leurs marges
    2. Les secteurs qui avaient massivement souffert et surprennent donc désormais à la hausse, comme l’immobilier
    3. Les non cycliques, plus réguliers
    4. Les cycliques, les plus en difficulté

 
Un contradicteur pourrait nous dire qu’on ne parle ici que de « surprise » et que si les dirigeants d’entreprises s’étaient révélés extrêmement prudents dans leurs prévisions en début d’année, alors ces « mauvaises surprises » ne signifiaient pas spécialement des mauvais chiffres. Il n’en est rien et le graphe ci-dessous, représentant l’évolution de la couverture des intérêts des entreprises du Stoxx 600 montre clairement une dégradation sur 2024.

Si on considère, au surplus, qu’il s’agit d’une moyenne alors même que les écarts sectoriels et entre entreprises sont importants, on imagine que certains pans du marché des émetteurs corporates vivent une période exécrable.

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Pourtant, les rendements obligataires d’entreprises bougent peu comme en témoigne le graphique ci-dessous retraçant l’évolution des rendements des émetteurs BB à 3-5 ans et de leur spread de crédit.

Deux raisons expliquent cela :

  • La première est une raison légitime qui est la prudence des entreprises depuis plusieurs années et l’accumulation de trésorerie au bilan, comme en témoigne le graphe ci-dessous qui montre une trésorerie au plus haut sur une décennie pour les entreprises Investment Grade qui s’est stabilisée depuis 2020. Notons que ce premier argument ne vaut que pour des obligations suffisamment courtes puisque la trésorerie peut s’éroder rapidement, en particulier pour certains secteurs industriels et/ou très cycliques ; le cas de Stellantis qui risque de brûler 10% de son considérable matelas de trésorerie en quelques mois est un exemple parlant.

  • La seconde est l’afflux régulier d’investissements sur le marché obligataire corporate depuis plusieurs mois et l’idée générale d’une action très forte des banques centrales conduisant à de fortes baisses de taux généralisées. L’heure est donc encore à un certain optimisme sur le marché du crédit mais il peut être utile pour les plus agiles ou les plus prudents de mettre un pied sur le frein et d’observer la volatilité croissante sur le marché des actions. Ici encore, nous nous étonnerons du grand écart entre l’action de l’entreprise Stellantis qui a vu son cours fondre de plus de la moitié en quelques mois tandis que son spread de crédit à 10 ans n’a pas cillé… Le cas est comparable sur Volkswagen, entreprise dont la masse de dette est parmi les plus importantes au monde… La consistance des flux sur le crédit et l’importance de tels émetteurs dans les indices obligataires, qui sont pondérés par la masse de dette, joue probablement pour cet effet retard du marché du crédit sur le marché actions.

Si le secteur des fabricants automobiles n’inclut que des bluechips très présents dans les indices obligataires, le secteur des équipementiers peut d’ailleurs être un meilleur révélateur de cet effet « flux » puisque les spreads des entreprises de qualité équivalente mais moins pondérées dans les indices se sont beaucoup plus écartés que d’autres d’entreprises plus importantes et donc automatiquement achetées par les ETF et autres fonds benchmarkés.

De notre point de vue, la période est donc plus à la sélectivité vers des émetteurs dont les rendements ont déjà pris en compte le risque à venir que vers ceux dont les rendements nous semblent voués à s’écarter et n’offrent aucune marge de manœuvre et très peu de coussin à un investisseur. Par exemple, nous préférerons les obligations Benteler (0.16 % de l’indice High Yield) à 8 % de rendement aux obligations Valeo (1.4% de l’indice High Yield) à 4 % de rendement alors même que leurs situations bilantielles, opérationnelles et concurrentielles semblent assez similaires :


Si certains secteurs restent actuellement strictement exclus de nos fonds, comme l’immobilier, le recouvrement de créance ou la mode, nous ne pratiquons donc pas pour le reste une ségrégation sectorielle systématique mais privilégions plutôt actuellement une approche circonstanciée, considérant que certains secteurs doivent être assortis d’une prime de risque beaucoup plus significative que par le passé et que seulement une partie des émetteurs la prend déjà en compte, tandis que les rendements des autres sont encore artificiellement compressés. C’est le cas de l’automobile, des telecoms, et de la consommation cyclique au sein desquels nous préférerons quelques émetteurs déjà « soldés » par les marchés et offrant suffisamment de rémunération plutôt que la kyrielle d’émetteurs intermédiaires aux rendements entre 3% et 5% qui pourraient voir leur qualité baisser significativement et leur spread et leur performance se révéler volatile et peu rentable dans les mois à venir. Notons d’ailleurs que ces trois secteurs sont très présents dans les indices au travers précisément de ces émetteurs « bluechips » aux rendements relativement faibles, comme en témoigne le graphe suivant des dix émetteurs les plus pondérés de l’indice high yield assortis de leur rendement moyen.


(Sources : Bloomberg, Octo AM)


Ceci est bien évidemment plus vrai pour les obligations longues que les courtes, le matelas de trésorerie restant conséquent et permettant d’investir sereinement sur un bon nombre d’obligations à moins d’un an pour un fonds court terme par exemple. Parmi les secteurs que nous privilégions, celui des financières reste toujours en tête de liste puisqu’il bénéficie depuis plusieurs années d’un environnement de régulation stricte sur les risques accompagné notamment d’une augmentation des fonds propres plutôt favorable au créancier et depuis 2022 d’un environnement de taux plus favorable pour leur compte de résultats.

 

Matthieu Bailly, Octo Asset Management

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