21/06/2024
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Après une réaction épidermique de quelques jours post-dissolution, tout semble s’être calmé sur le marché français : le spread de la France face à l’Allemagne s’est stabilisé en deçà des 80 points de base, les obligations bancaires françaises ont légèrement rebondi et surtout l’Etat est parvenu sans encombre à émettre 10.5 milliards d’euros de nouvelles obligations sans avoir à augmenter significativement son taux d’emprunt par rapport au marché secondaire.

On pourrait ainsi penser que le stress était de courte durée et que ces élections législatives n’auraient ajouté qu’une prime complémentaire à l’Etat Français par rapport à ses pairs, prime quasiment gratuite à capter d’urgence considérant le fameux « parapluie européen ». Nous considérons au contraire à ce stade qu’il est préférable de patienter, voire de continuer de réorienter ses portefeuilles à l’approche des prochains mois. Plusieurs éléments nous conduisent à cette prudence :

1. Les sondages actuels laissent penser à une victoire d’un bloc plus ou moins large partant de l’extrême droite, ce qui, du point de vue international peut être considéré comme plus favorable que l’équivalent de gauche pour deux raisons : tout d’abord une perception que les dépenses budgétaires seraient plus contenues, deuxièmement des arrangements avec d’autres partis empêchant les excès, troisièmement des précédents déjà observés, notamment en Italie, qu’il s’agisse d’une période de latence importante pour constituer un gouvernement ou d’un gouvernement mené par les partis les plus à droite de l’échiquier politique. Deux spécificités démarquent pourtant la France face à l’Italie : 1/ un volume de dette publique et privée beaucoup plus importante que d’autres pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Belgique ayant connu ce type d’incertitude politique, 2/ une part d’investisseurs étrangers beaucoup plus conséquente avec 53% pour la France contre par exemple 20% en Italie.

2. Le volume de la dette publique et privée mentionné ci-dessus joue également sur l’aspect beaucoup plus systémique de la France par rapport à ses pairs européens : ainsi, il est probable qu’une crise de la dette française, même ponctuelle, puisse se propager à d’autres catégories d’actifs, notamment les obligations bancaires et assurantielles, dont les bilans sont souvent chargés de dette souveraine, ou les segments de marché plus risqués et traditionnellement sujets aux accès de volatilité comme le ‘high yield’.

3. Dans les crises exogènes à l’analyse financière traditionnelle, les marchés financiers réagissent souvent en plusieurs phases et on pourra ici se souvenir de la crise du Covid dont les prémices ont été plutôt considérées comme anodines avant le sell off du mois de mars 2020. Ici encore avec une réaction de quelques jours, c’est finalement une correction relativement faible qui s’est produite sur les obligations directement liées au risque d’Etat Français, obligations dont nous avons cité les principales catégories dans notre dernier hebdo.  Ainsi cette absence de correction majeure permet encore de réaliser facilement des arbitrages vers d’autres obligations sans aucune perte de valeur ou d’espérance de rendement : au vu d’un gouvernement ou d’une difficulté à le constituer sans précédent en France, il nous semble toujours opportun de supprimer tant que possible ce risque, pour le moment très peu rémunéré.

4. La crise du Covid et l’explosion récente des dettes publiques dans la plupart des pays ont supprimé toute inquiétude des marchés financiers vis-à-vis des chiffres qu’ils scrutaient auparavant… Alors que le Portugal ou l’Italie étaient en plein marasme en 2012 avec des taux de dette/PIB autour de 120%, la France s’y dirige allègrement, tandis que l’Italie stagne au dessus de 140% sans que personne ne s’en alerte plus...

5. L’ombre de la BCE plane au dessus des Etats européens et les investisseurs savent que celle-ci interviendrait en cas de stress trop important sur un de ses Etats membres, a fortiori un Etat pilier comme la France. Nous mettons cependant en garde nos lecteurs dans la mesure où nous ne savons pas à quel stade, ni dans quelles conditions la BCE interviendrait et, comme par le passé, il suffirait certainement qu’elle annonce qu’elle pourrait utiliser quelques outils en fonction d’une aggravation de la situation, pour que les marchés financiers viennent tester et suggérer ces niveaux d’aggravation, créant des à-coups de volatilité importants. De plus, notons que la BCE ne pourra et ne souhaitera pas jouer de rôle dans les évolutions politiques de la France des prochains mois. Ainsi, il est probable qu’elle s’abstienne de toute action spécifique avant que la situation politique se stabilise, ce qui ne nous semble pas le scenario central, ou qu’une crise majeure survienne, ce qui corrobore notre prudence actuelle.


En résumé, nous considérons que nous ne devons pas nous leurrer de l’accalmie actuelle et que la volatilité pourrait au contraire revenir plus fort à la sortie des élections législatives françaises, ce qui implique plusieurs actions dans un portefeuille :

  • Réduction du risque français au profit des autres pays européens
  • Reduction du risque européen au profit d’autres zones comme les USA ou le Royaume-Uni
  • Augmentation de la duration taux des portefeuilles afin de profiter d’un éventuel ‘flight to quality’. Pour un investisseur en fonds, ceci pourra être opéré par une bascule de fonds courts ou purs high yield vers des fonds diversifiés, flexibles ou investment grade.
  • Constitution d’une poche de trésorerie, placée sur des fonds courts ou monétaires, au portage significatif.
  • Attention enfin aux fonds de type benchmarkés qui, par nature, seront généreusement positionnés sur la dette française, et ne pourront guère réalloueer leur positions si celle-ci devenait plus risquée pour quelques mois ou quelques années… N’oublions pas que les indices obligataires ne sont alloués qu’en fonction de la masse de dette et non d’un quelconque rapport rendement/risque.

Matthieu Bailly, Octo Asset Management

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